SECURITE

GUERRE DANS L’EST DE LA RDC : Les appétits derrière les armes [Tribune]

Jephté Mbangala
Ecrivain et diplômé en droit international public et relations Internationales de l’Université de Kinshasa.

Depuis la résurgence du groupe rebelle M23 en novembre 2021, il était prévisible que sa pitance prendrait des échelons succulents au vue des avantages qui s’offraient à lui, notamment le contrôle du site minier de Rubaya en août 2024. D’après l’ONU, le groupe rebelle toucherait jusqu’à 800 000$ par mois, de quoi nourrir ses ambitions de grandeur. La situation actuelle dans l’est du Congo, avec entre autre la prise de Goma par le M23 et l’armée rwandaise remet sur la table la question des appétits derrière les armes.

Qu’est-ce qui serait caché derrière l’agression rwandaise en dehors de ce qui est devenu de notoriété publique, l’exploitation illicite des minerais ?

La réponse est surprenante et digne d’un véritable roman de fiction semblable à la Da vinci code. Pour y arriver, procédons graduellement en commençant par comprendre « la lutte » du M23.

Le groupe rebelle M23 est né à la suite du « non-respect » des accords du 23 mars 2009, (d’où l’appellation M23) conclus entre le gouvernement de l’époque et les anciens rebelles du CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple). Le CNDP avait été créé en 2004 pour « protéger les Tutsis congolais, victimes de stigmatisation », avec en tête un célèbre rebelle qui reste encore dans les mémoires, un certain Laurent NKUNDA, appelé communément NKUNDABATWARE. Ces accords sont entre autre l’intégration dans les Forces Armées congolaises des anciens rebelles du CNDP, une aide aux victimes et des réformes sécuritaires.

En mai 2012, lorsque le M23 fut créé, l’on ne s’imaginait pas qu’il deviendrait le groupe rebelle le plus redoutable parmi les 200 autres qui sévissent dans la région du Kivu, car à cette époque, les têtes d’affiche du CNDP que l’on a toujours craint, n’étaient pas sur la première ligne ; il était simplement connu qu’il s’agissait d’une mutinerie d’ex-rebelles du CNDP dans les FARDC qui étaient lassés de « l’inaction » du gouvernement à « respecter les accords ».

C’est quelques mois plus tard, en novembre 2013 que l’on commençant peu à peu à mesurer pleinement l’ampleur du M23 lorsqu’il s’était accaparé la ville de Goma avant d’être délogé par les FARDC appuyés par la MONUSCO.

Rapprochement avec le Rwanda

L’on sait très peu de choses sur la période d’inactivité du M23 après son échec en 2013. L’on sait simplement que ses membres s’étaient réfugiés en Ouganda et au Rwanda. Cependant, il est fort probable que le Rwanda, qui a toujours nourrit des ambitions de grandeur, ait profité de cet exil pour se rapprocher du M23, ou qui sait, s’était peut-être déjà rapproché du groupe rebelle lors de sa formation en 2012 ; qu’à cela ne tienne le Congo est en guerre avec un pays qu’il ne connait pas (Expression de Didier Mumengi).

Les ambitions du Rwanda.

Depuis belle lurette, il y a une sorte de mythe bien rependu au Rwanda, ancré dans les mémoires des générations, sur l’existence d’un prétendu « Grand Rwanda » (Expression de l’historien Isidore Ndaywel). Ce « Grand Rwanda », à l’exception des terres actuelles du Rwanda, s’étendrait sur le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, deux provinces de la RDC immensément riches en ressources naturelles. D’après le même mythe, le Rwanda, petit de superficie (26 798 km²) est l’échec de ce qu’aurait été le « Grand Rwanda » dont certaines terres sont restées au Congo. Dans l’opinion rwandaise, il est de plus en plus entretenu l’idée de reprendre ces terres à tout prix… Verser de son sang pour reprendre les terres perdues est un devoir patriotique en l’honneur des anciens. Ainsi, une fois les terres du Kivu récupérées, l’on peut aisément vivre dans la grandeur du « Grand Rwanda », pays puissant, grand, ambitieux d’Afrique.

Au cours d’une conférence de presse lors de sa visite au Benin le 15 avril 2023, le Président rwandais a sans langue de bois confirmé ce mythe du « Grand Rwanda » :

« En ce qui concerne le M23 et les personnes liées au M23, les Congolais qui ont des origines rwandaises, il faut savoir que les frontières qui ont été tracées lors de la période coloniale ont découpé nos pays en morceaux. Une grande partie du Rwanda a été laissée en dehors, dans l’est du Congo […] 
Or, il me parait plus expressif de faire un raccordement logique entre le mythe du « Grand Rwanda », le coup de boutoir du Président Rwandais et les revendications floues du M23 pour comprendre qu’il y a bel est bien un complot bien raffiné depuis des années contre la RDC. Ce complot serait, comme pour la Yougoslavie en 1992, la scission de la RDC. C’est ainsi que pour y arriver, les initiateurs sont passés par persuader la population du Rwanda qu’elle a des terres laissées au Congo. Cet argument convainc et suscite un sentiment d’éveil patriotique chez les Rwandais qui croient en ce mythe.

Comment contourner ce complot du Rwanda ?

Tout d’abord, la question de traçabilité des frontières en Afrique a déjà été réglée par le deuxième Sommet de l’OUA en 1964 qui a opté pour l’intangibilité des frontières telles que héritées de la colonisation. Il est chimérique et provocateur de parler en 2025 de la traçabilité des frontières des pays d’Afrique dont les peuples sont épris d’idée de vivre ensemble.

Alors que le M23 est en position de force en occupant plusieurs territoires du pays, l’hypothèse de le vaincre à tout prix par les armes me semble moins réfléchie. Bien que le Président de la République ait déclaré catégoriquement qu’il ne négocierait pas avec les rebelles, la situation dégradante sur terrain ne saurait lui laisser la chance d’enfourcher le tigre pour trois raisons suivantes :

  1. S’engager dans les armes contre le Rwanda et ses supplétifs du M23, laisserait au Rwanda un argument sur la marginalisation des rwandophones au Congo et ainsi justifier son occupation des territoires de la RDC (jusque-là secrète) pour la protection de la communauté Tutsi du Congo.
  2. La réorganisation de l’Armée nationale aiderait à mettre de travers les mouchards qui servent le Rwanda et qui participent secrètement à la concrétisation du mythe du « Grand Rwanda ».Cette réorganisation de l’armée va permettre à la RDC de se confirmer en puissance armée sur le continent afin d’être respectée par ses voisins guetteurs.
  3. Sur la scène internationale, bien que moutarde après dîner, les lignes bougent en défaveur du Rwanda qui se voit être isolé (condamnation par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, menace par le Royaume Uni de « réexaminer » son aide au Rwanda, la désolidarisation de plusieurs pays). La RDC devra alimenter ses efforts diplomatiques pour vaincre le complot du Rwanda. Il est essentiel pour la RDC de projeter des actions de repeuplement des zones concernées par le complot rwandais et renforcer la politique de sécurité des provinces d’Ituri, Nord et Sud Kivu. L’arrogance et supercherie du Rwanda sont en phase de connaître un tournant historique, il faudra attendre la fin de la foire pour compter les bouses.

Kinshasa,10 février 2025

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