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Invalidation de 82 candidats députés nationaux : « En décernant un carton rouge aux fraudeurs, Denis Kadima a ainsi tenté de sauver sa propre réputation…»( Tribune de Colette Braeckman)


Le président de la Commission électorale dénonce 82 cas de fraude. Plusieurs personnalités sont incriminées, dont le ministre de l’Intérieur Peter Kazadi. Moïse Katumbi, le principal perdant du scrutin, a remis en cause l’ensemble du processus électoral.


Démontées, les tentes du centre Bosolo où l’on avait pu suivre, en direct sur grand écran, le déroulé des résultats électoraux en République démocratique du Congo, éteintes les lumières : la communication faite par le président de la Commission électorale indépendante (Ceni) a les allures d’une secousse tellurique et elle fissure le processus électoral tout entier. Vendredi soir en effet, Denis Kadima a officiellement communiqué sa décision d’invalider le vote dans deux circonscriptions électorales et d’annuler les résultats de 82 candidats à l’élection nationale et provinciale. Accusés de fraude électorale, ces derniers auraient détourné de leur utilisation normale les désormais célèbres DEV (dispositif électoral de vote). Au lieu de se retrouver exclusivement dans les bureaux de vote, un grand nombre de ces « machines à voter » venues de Corée du Sud et qui se trouvaient sous la responsabilité de la Ceni ont été retrouvées au domicile d’un certain nombre de personnalités politiques qui les utilisèrent évidemment à leur profit.


Parmi les candidatures invalidées par la Ceni figurent celles de « caciques » de l’Union sacrée pour la nation (ESN), le bloc politique soutenant le président Félix Tshisekedi, et, parmi les « fraudeurs » incriminés, on retrouve aussi quelques noms connus. Il s’agit d’hommes politiques naguère réputés proches de Joseph Kabila et qui avaient rejoint le nouveau pouvoir, parmi lesquels Evariste Boshab, ancienne « tête pensante » de l’ex-chef de l’Etat Joseph Kabila, Gentiny Ngobila, gouverneur de la province de Kinshasa, Kin-Kiey Mulumba, fondateur de l’hebdomadaire Le Soft et ministre sous Kabila. Cette affaire éclabousse aussi le ministre de l’Intérieur Peter Kazadi et Augustin Kabuya, président du parti UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), dont l’objectif était de rafler une majorité éclatante au Parlement et de se libérer ainsi d’alliances contractées avec d’autres formations sous la précédente législature dont l’AFDC (Alliance des Forces démocratiques pour le Congo) présidée par le très influent président de la Chambre Bahati Lukwebo, majoritaire dans tout l’est du pays.


Pourquoi Denis Kadima, dont l’expertise électorale est reconnue sur le plan international et qui a longtemps été présenté comme proche de Félix Tshisekedi, a-t-il ainsi décidé de démasquer les fraudeurs, dont la plupart se réclament de la majorité présidentielle ? Outre l’ampleur de la fraude – qui explique partiellement les retards et les pannes informatiques enregistrées le jour des élections et la prolongation du vote durant une semaine, bien au-delà du jour férié officiellement prévu –, c’est une menace des Eglises catholiques et protestantes qui aurait déclenché cette fuite en avant. L’Eglise du Christ au Congo (protestants) et la Cenco (catholiques) auraient suggéré de tenir uniquement compte des votes émis le jour prévu par la loi, c’est-à-dire le 20 décembre et de publier ces derniers, tout en annulant tous les votes ultérieurs émis hors délai, hors bureaux et donc illégaux.


Sauver le score présidentiel


En décernant un carton rouge aux fraudeurs, Denis Kadima a ainsi tenté de sauver sa propre réputation et, plus vraisemblablement, de préserver le seul résultat jugé véritablement important, à savoir le score attribuant 73,34 % au chef de l’Etat sortant Félix Tshisekedi. D’autant plus que ce dernier, désireux de mettre à l’abri sa propre légitimité, se déclare impitoyable face aux fraudeurs.


L’opposition s’est évidemment ruée dans la brèche, relevant que ce sont les mêmes machines, les mêmes processus électroniques qui ont été utilisés tant pour l’élection présidentielle que pour les législatives et au niveau des provinces. Moïse Katumbi, le principal perdant du scrutin, suivi par huit autres candidats, a dénoncé « un simulacre d’élections » et remis en cause l’ensemble du processus électoral.


Jean-Claude Mputu, politologue, porte-parole de l’organisation « Le Congo n’est pas à vendre », interpelle les pays amis, dont la Belgique, se demandant : « Vont-ils avaliser une telle imposture, alors que l’exercice électoral n’est tout simplement pas valable? »


Même si la Belgique s’abstient de tout commentaire, cette tricherie désormais reconnue au plus haut niveau congolais relance également les questions à propos du décès d’un ressortissant belge au moment des élections : ce spécialiste en informatique faisait partie du groupe de huit observateurs envoyés dans la capitale par l’Union européenne après qu’une mission plus importante, dotée de téléphones satellites et de matériel sophistiqué, a été récusée par Kinshasa et accusée d’espionnage. La mort de L. D., un homme de 40 ans, avait été attribuée à un suicide, et selon la version officielle, sa mort serait due à une chute depuis le 12 e étage de l’hôtel Hilton, situé non loin du siège de la Ceni. Or sa chambre se trouvait au 5 e étage et au bar de l’hôtel, l’informaticien a pu croiser des équipes de la Ceni ainsi que des membres de l’ équipe de campagne de Jean-Pierre Bemba, ancien rebelle et actuel ministre de la Défense.


En principe, la prestation de serment du président Tshisekedi doit avoir lieu le 25 de ce mois, en espérant que tous les doutes sur le processus soient dissipés d’ici là et que la somme – colossale – d’un milliard de dollars n’aura pas été dépensée pour un simulacre d’exercice démocratique.

Colette Braeckman, journaliste Belge et spécialiste des questions de la RDC et de l’Afrique centrale.

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