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Jeux de la Francophonie à Kinshasa : Éric Kamba préoccupé sur les questions d’intérêt diplomatique et économique de ce rendez-vous convoqué par une guide rwandaise

« Jeux de la Francophonie à Kinshasa : Pour quel apport sur le plan diplomatique et économique en RDC ?» Eric Kamba, Congo Action pour la Diplomatie Agissante (CADA)

La neuvième édition des Jeux de la Francophonie se tiendra à Kinshasa, du 28 juillet au 6 août 2023. La grande question que beaucoup des Congolais se posent est de savoir pourquoi avoir accepter d’organiser ces jeux et pourquoi y participer ?

Pour la France, une des grandes raisons appelant le monde à participer à ses jeux de la Francophonie se trouve être : « l’idée de renforcement de la paix, solidarité, développement durable, diversité linguistique et culturelle et le rattachement entre le peuple ».

En évaluant les objectifs de la Francophonie, par rapport à la situation qui prévaut en RDC, pays agressé par le Rwanda depuis plus de trois décennies, il y a lieu de s’interroger sur les bienfaits de cette organisation, repenser et redéfinir une nouvelle manière de faire les choses.

RDC, le plus grand pays francophone du monde

Kinshasa, capitale de la RDC compte plus de 17 millions d’habitants avec le Français comme langue officielle.

Que dire alors de cette affaire de la Francophonie où La France et son Président Emmanuel Macron ont fait la honte de la France pour avoir soutenu à bout de bras une Anglophone rwandaise à sa tête, reniant ainsi le fondement de l’organisation, à savoir la pratique du français, langue officielle parlée par près de 100 millions de Congolais ?

C’est ainsi que la présente réflexion tourne autour de l’élection de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

Cette élection qui a fait et continue à faire couler beaucoup d’encre et de salive dans les milieux francophones.

Ceci du fait, surtout, que la candidature rwandaise, annoncée en anglais, langue d’enseignement et officielle au Rwanda, a été soutenue par le président de la France, pays port étendard de la francophonie.

La position française, du moins de son président, a suscité des vives réactions et soulevé beaucoup d’interrogations de par le monde, voire dans son propre pays. Il sied donc ici de tenter de trouver une explication du soutien français et africain à cette candidature rwandaise alors que les neuvièmes jeux de la francophonie sont organisés en RDC, pays frontalier du Rwanda, et avec lequel les relations se sont beaucoup plus détériorées ; Kinshasa accusant Kigali d’agresser la RDC via le M23.

Pour répondre à cette préoccupation qui tient le monde francophone en haleine, il est utile de prendre en compte les dernières avancées sur les questions du génocide rwandais, le passé du président français et les relations que la RDC entretient avec la France et, dans une certaine mesure, avec les autres pays francophones d’Afrique.

1. Les derniers développements du dossier sur le génocide rwandais

En avril 2019, le président français Emmanuel Macron a annoncé l’ouverture des archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994 à une commission d’historiens et un renforcement des moyens judiciaires pour poursuivre d’éventuels génocidaires qui se trouveraient en France.

Les archives concernées comprennent, notamment, des notes rédigées par les conseillers du président Mitterrand et des comptes rendus des réunions du gouvernement.

Elles sont couvertes par un protocole qui ne prévoit leur ouverture générale au public que 60 ans après sa signature, soit en 2055.

Ce volet est sensible, car plusieurs personnes, dont Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana, que la justice française avait refusé d’extrader en 2011, sont soupçonnées. Et cette dernière est souvent présentée comme une complice dans l’organisation du génocide.

En juin 2020, le Conseil d’État estime que François Graner a « un intérêt légitime à consulter ces archives pour nourrir ses recherches historiques et éclairer ainsi le débat sur une question d’intérêt public ».

Cette décision, qui constitue « une victoire pour le droit mais aussi pour l’Histoire », est saluée par l’avocat de François Graner, Me Patrice Spinosi, estimant que «le droit à l’information l’avait emporté».

Le 26 mars 2021, la commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda (Commission Duclert) rend ses conclusions. Cette étude documente l’implication de la France au Rwanda entre 1990 et 1994.

Le document reconnait la responsabilité «politique, institutionnelle, intellectuelle, morale et cognitive» de la France et, principalement, du président de l’époque, François Mitterrand, dans le génocide.

Néanmoins, le rapport réfute les accusations de complicité de génocide portées contre la France. Et Macron d’annoncer l’ouverture prochaine des «deux principaux fonds d’archives» français sur le génocide.

La publication du rapport est saluée positivement par le Rwanda.

Le 19 avril 2021, le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta déclare :

«Je pense que la France n’a pas participé à la planification du génocide et que les Français n’ont pas participé aux tueries et aux exactions. La France, en tant qu’État, n’a pas fait cela. Si la complicité se définit par ce que je viens de dire, alors l’État français n’est pas complice ».

Le 27 mai 2021, le président Macron, en visite officielle au Rwanda, reconnaît la « responsabilité accablante » de la France dans le génocide.

Il laisse entendre que «la France, en s’engageant dès 1990, n’avait pas su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde », affirmant de ce fait le devoir «de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence ».

Et d’ajouter :

« Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice. En nous engageant à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges. Reconnaître ce passé, notre responsabilité, est un geste sans contrepartie. Exigence envers nous-mêmes et pour nous-mêmes. Dette envers les victimes après tant de silences passés ».

Le président Macron va aussi déclarer, comme préconisé par le rapport, que la France n’a pas été complice du génocide et ne prononce pas d’excuses (bien que des associations et spécialistes le souhaitaient), mais dit toutefois : « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner ».

A ces propos, le président Kagame réagit le même jour lors de la conférence de presse commune par ces mots :

« C’était un discours puissant, avec une signification particulière pour ce qui se passe aujourd’hui et qui résonnera bien au-delà du Rwanda. Ses mots avaient plus de valeur que des excuses. Ils étaient la vérité ».

2. Les raison qui ont pu motiver le président français

D’entrée de jeu, il faudrait signaler que :

✓ Louise Mushikiwabo est la sœur de Lando Ndasingwa, ministre et figure du Parti libéral rwandais, tué le 7 avril 1994, premier jour des massacres comme le reste de sa famille ;

✓ Louise Mushikiwabo a fait ses études supérieures d’interprétariat aux USA ;

✓ Pendant son passage à l’ENA, Emmanuel Macron a effectué un stage de six mois à l’ambassade de France à Abuja, au Nigeria, passage qui l’a rapproché de milieux anglophones.

3. Relation entre la RDC et les autres pays d’Afrique

La République Démocratique Congo est en bons termes avec la quasi-totalité des pays africains, à l’exception du Rwanda et de l’Ouganda à cause de leur agression et vols de ses minerais.

La posture africaine face à la candidature serait-elle due simplement au fait qu’elle ait été en dépit de toute autre candidature africaine ?

En effet, la position du président français se justifie par le fait que, dans le souci de renouer avec le Rwanda, Macron a dû prendre position sur le génocide rwandais.

En reconnaissant le rôle de la France et en soutenant Louise Mushikiwabo, victime du génocide, il a redonné ainsi la voie aux victimes.

Toutefois, le temps passé au Nigeria peut également justifier son penchant pour le Rwanda, pays de langue anglaise.

Lors de la rencontre au mois de mars de cette année entre le président Emmanuel Macron et le président Félix Tshisekedi, le Chef de l’État français n’a pas condamné nommément le Rwanda, n’a pas annoncé de sanctions ni dénoncé clairement le soutien rwandais au M23.

Pourquoi Emmanuel Macron soutient tant le Rwanda dans ce contexte, quand on sait qu’il n’hésite pas publiquement à fustiger sans ménagement les régimes dictatoriaux ?

L’on se souviendra que le même Macron, avait reconnu la responsabilité de son pays, la France dans le génocide rwandais de 1994 et avait demandé pardon aux victimes tout en répétant que les dirigeants de l’époque n’avaient pas pris la mesure de la catastrophe qui s’annonçait.

Le soutien du Rwanda au mouvement terroriste M23, qui s’est emparé de vastes territoires de la province du Nord-Kivu, région riche en minerais, n’est plus discutable car documenté et prouvé dans nombreux rapports des experts de L’ONU.

S’agissant des intérêts économiques, ne serait-il pas bon que la France s’aligne en faveur de la RDC, pays détenant la quasi-totalité des minerais stratégiques de la planète au lieu de continuer à soutenir un pilleur ?

In fine, le président Macron a dû faire son choix, celui de continuer à plaider la cause de Kigali.

En effet, Kagame travaille pour la France en Mozambique et l’armée rwandaise protège les intérêts de la société pétrolière française Totale et amasse des ressources financières des particuliers et des entreprises pour financer l’effort de guerre à l’Est de la RDC.

Devant cette situation, on peut comprendre la suspicion des Congolais qui se veulent circonspects.

Ils observent une prudence tous azimut et pensent redéfinir, repenser les relations avec la France d’une part, et, d’autre part, avec le Rwanda.

A la question de savoir s’il est opportun de voir les jeux de la francophonie être organisés à Kinshasa dans les conditions qui sont les nôtres, il faudrait voir ce qu’ils peuvent ramener à la RDC sur le plan diplomatique et économique.

Eric Kamba, coordonnateur de l’ASBL Congo Action pour la Diplomatie Agissante (CADA)

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